[BG] L'Ombre de Sazkya

Sazkya tentait de discerner les traits de l’homme.
La nuit était froide, profonde et sans étoile, seule la lune éclairait la scène de sa lumière spectrale.

D’une voix caverneuse il incita la jeune femme à continuer son récit.

Sazkya resserra son manteau afin de se réchauffer un peu, pris place sur un rocher, la lune révélant l’éclat de ses yeux verts.

La guerre faisait encore rage à ce moment là, nous étions une communauté de nomades et notre caravane se fit attaquer par des barbares.

J’étais encore une très jeune enfant mais j’ai encore dans la tête les cris, les larmes des femmes violées … des hommes assassinés …
Je n’eus même pas le temps de voir si mes parents étaient en sécurité qu’on me souleva du sol, m’arrachant aux miens.

J’avais deux ans à l’époque … je ne me souviens que de cette scène, le visage de mes parents, leurs noms … tout s’est envolé de ma mémoire.

Je fus revendue au marché aux esclaves. C’est un homme étrange qui fit mon acquisition, d’après lui je serai fort utile dans quelques années.
Etonnamment, il ne me confia pas à l’une de ses servantes mais me garda à ses côtés.
Je grandis donc dans un univers de conspirations et de secrets, telle la fille d’Enoch, chef de la guilde des assassins «Rose Noire ».

Mon maître avait toujours été très attentif à mon bien-être, je le respectais grandement et le voyais comme un père.
Puis vint le jour où il décida que je devais être initiée. Il se chargea personnellement de ma formation après m’avoir fait apposer l’emblème de la guilde.
Une rose noire, tatouée à un endroit que seul celui qui partagerait mon intimité pourrait voir.

Enoch était un homme dur, perfectionniste mais toujours juste.
Les leçons se succédaient et son comportement changeait, son regard sur moi … Je ne sentais plus cette bienveillance innocente mais autre chose, quelque chose qui me déplaisait.

A la nuit tombée, lors d’une leçon d’infiltration …

Des larmes perlent aux yeux de Sazkya.

Il enserra ma taille et m’embrassa fougueusement. Enoch était beaucoup plus âgé que moi, j’avais un grand respect à son égard. L’espace d’un instant je retrouvais l’année de mes deux ans.

En larmes, je le repoussais … m’enfuyant dans la pénombre.

C’est ainsi que j’atterris sur votre royaume. Mon apprentissage à peine entamé.

Je m’appelle Sazkya et j’ignore quel est mon nom alors je me rattache à la guilde qui m’a vue grandir.

Sazkya de RoseNoire

Sazkya se réveilla paniquée … Encore ce même rêve.

Le premier principe de la guide, ne pas trop en dévoiler sur soit, pourquoi bon sang fais-je toujours ce même rêve ! Et cet homme … qui est-il ?
La jeune humaine observa un instant la grange qu’elle avait trouvé pour passer la nuit, fraîchement arrivée sur ces terres inconnues.
Elle lutta un instant puis se rendormi.

C’est ainsi qu’elle suivit Nardanel jusqu’au château de Dion et se retrouva face à Basha, la matriarche des vampires.
D’autres de se frères et sœurs étaient présents. Tous fort étonnés de voir leur sœur accompagnée.

Sereine et sans nulle peur au ventre, je marchais vers mon destin, cherchant ma place et l’adéquation à mes idéaux.

S’en suivirent quelques joutes verbales et demandes d’explications. Que voulait donc cette humaine et … quelles étranges pensées avait-elle là.
Sazkya alla droit au but, laissant ainsi libre Basha de l’accueillir parmi les siens … ou non.

Quelques brèves rencontres firent suite à ce jour. Des mises au point sur ce qui pouvait l’attendre, ce qui pourrait l’effrayer … La rencontre d’autres membres de la famille.
L’un d’entre eux intriguait et attirait étrangement Sazkya … Sans doute était-ce son parlé, son magnétisme et son mystère qui plaisait à la jeune femme.

Ne suis-je pas moi-même l’amante mélancolique de l’ombre …

Armée d’une grande patience, la jeune humaine attendait que son sort soit scellé.

La nuit venait d’étendre son sombre voile lorsque Sazkya rencontra Basha. Celle-ci conversait avec une jeune drow mais abandonna son interlocutrice, demandant à la jeune humaine de la suivre.

Leur voyage les mena jusque la forêt des morts. Les deux femmes marchèrent jusqu’à atteindre un manoir paraissant à l’abandon.
Sazkya apprit qu’il s’agissait de la demeure de l’Ancien. Elle tenta d’en savoir plus mais Basha lui fit comprendre qu’elle lui conterait l’histoire des siens bientôt.

Avec admiration, elle fit le tour de la bâtisse, appréciant l’architecture de l’imposante résidence qui même délabrée dégageait une force sombre et attirante.

Basha porta son regard sur Sazkya …

N’est-ce pas un bel endroit pour mourir ?
Sans nul doute l’endroit idéal, sombre et attirant … Emprunt d’histoire.

D’une main pâle elle caressa la pierre, appréciant sa fraîcheur.
Les pierres ont leur propres mémoires … Vestiges du passé, elles résistent à travers le temps

Puis les deux silhouettes s’assirent, échangeant à nouveau sur les engagements de la famille, les transformations à venir.
Sans un bruit, trois ombres apparurent non loin.
Basha se leva, accueillant les siens.

N’est-ce pas un bel endroit pour mourir ?
Nardanel, Veldrin et Anrak acquiescèrent

Il est temps, nous allons procéder.
Les trois vampires semblèrent quelques peu surpris.

Une fiole fût donnée à Veldrin qui y versa de son sang.
Quel délice que la lame scintillante sous la lune pénétrant lentement la chair, laissant sur son passage un sillon écarlate.

Nardanel et Anrak en firent de même. Puis Basha se tourna vers Anrak afin qu’il aide Sazkya a rejoindre leur famille.
L’attente fût longue … Le jeune vampire n’osait pas faire couler le sang par les armes mais … Vint enfin la délivrance.

La chaleur enveloppante de la faucheuse … L’ombre m’absorbe.

Basha verse la fiole de sang sur les plaies de la jeune humaine ... qui se referment d'elles-mêmes.

Puis d’un souffle long mon corps s’éveille. Mes yeux papillonnent avant de s’habituer à ce nouveau regard, aux étoiles plus vives, aux ombres mouvantes … Les statues de marbres m’observent d’un œil complice.
Mes yeux se posent sur mon corps, du sang … Pas de plaies.
Ma bouche est sèche…De la langue j’humidifie mes lèvres, étonnée de sentir mes nouvelles canines …
Me voici des leurs. Une enfant de ténèbres …

La nuit m'enveloppe de son sombre manteau, le masque que je porte dissimule mes traîts.

De loin je l'observe ... La tête entre les mains, il semble accablé.

Sazkya soupire.

Enoch, tu étais mon père, mon mentor et mon modèle, pourquoi m'avoir ainsi trahie.
A cause de toi je voulais fermer mon coeur aux hommes, j'avais trop peur de revivre cette scéne écoeurante ...
Mais pourtant ... Lui, sait éveiller cette flamme qui sommeille en moi telle la braise sous la cendre ... Latente ...

La jeune vampire, dans un silence spectral rebrousse chemin. Dissimulée par les ombres, cheveux aux vent elle court encore et encore jusqu'à rejoindre ce continent qui est maintenant sa demeure.

Dion est déserte ... Le château ! Non, je risquerais de le croiser ... Je dois me protéger, étouffer la braise.

Sazkya rejoint le passeur.
Mène-moi à Giran

Silencieuse, elle scrute les passants et porte une oreille attentive à tout ce qui se dit.
Lorsqu'elle l'aperçoit, figé en haut des marches.
Elégant et mystérieux comme à son habitude.
Elle ose un pas dans sa direction puis se résigne.

Nylan arrive entre temps, bavardant avec lui, elle ose alors le saluer de loin, d'un léger signe de tête puis baisse aussitôt le regard.
Il l'observe, elle sent son regard pesant ...

Ne rien laisser paraître ...

Le jour décline dans la crypte poussiéreuse … et lentement Sazkya s’extirpe de sa couche en maugréant.

Garce putride, nous n’en resterons pas là … Taranis sera vengé.

Puis la jeune vampire fît silence, humant l’air.
Ce même parfum, il est à nouveau là non loin. A ma recherche sans doute … Peut-être devrais-je lui apporter ce qu’il attend.

C’est le sourire au coin des lèvres qu’elle laisse tomber sa robe le long de son corps, dévoilant sa peau glacée, morte … qui a pourtant gardé le hâle de ses origines nomades.
Le tissus glisse en un doux un froissement jusqu'au sol, au creux de ses reins la rose noire de son passé … Encrée là pour l’éternité.
Son armure passée, elle saisit sa dague et d’un pas silencieux et assuré sort de son refuge.

Son regard se pose entre les arbres non loin.
Tu me vois n’est-ce pas … te voilà prêt à bondir mais …
D’un geste vif et agile elle se retrouve derrière lui, susurrant à son oreille.
Tu tombes bien … je suis affamée.
L’homme en noir tente de se débattre mais transpercé de concert par les crocs et la froide lame il ne peut rien faire …
Il est conscient de l’aspiration de son fluide vital malgré la douleur lancinante entre ses côtes, son cœur s’emballe puis se fait lent, de plus en plus lent … jusqu’à l’arrêt.

Sazkya essuie d’un mouchoir noir le coin de sa lèvre puis fouille le corps sans vie à ses pieds.
Enoch t’a sûrement appris cela pourtant … Inconscient.

Un court instant la voilà disparue … C’est armée d’une épée qu’elle revient.
La jeune femme se penche prés du cadavre, saisit une poignée de cheveux et tranche vivement la tête de son assassin malhabile …
Elle fixe un instant le visage figé dans la mort par la douleur et la peur …

Ne formons-nous pas un beau couple tous deux ?
Cette petite aventure m’inspire … Ton maître m’a appris bien des choses en plus de l’art de l’assassinat et des ombres. Il m’a donné le goût des lettres.
Ecoute donc cela :

Le Prédateur & La Proie

Le rideau se lève dans un sourire
Le ballet commence dans un soupir
Rituel de l’animal où naît le désir
De s’approprier son âme et enfin d’assouvir
La soif vorace de son précieux élixir
Esclave du fauve il s’adonne au plaisir
De livrer son être sans désobéir

Offrant son corps et son fluide vital
Il glisse dans la pénombre abyssale
Lové en son sein dans une étreinte bestiale
Elle sonde à sa guise les tréfonds de son mal
Aspire et se nourrit de cette passion fatale
Qui pour ces pauvres esprits peut sembler anormale
Ô couple dramaturge à l’histoire théâtrale

Oh mais quelle drôle de tête fais-tu là ? Mon poème ne te plaît-il donc pas ?.

Un rire retentit dans la pénombre …

*
**

La grande citadelle se dresse devant elle.
Impénétrable pour ceux qui ne la connaissent pas …
D’un pas léger elle s’élance, tenant toujours la tête dans l’une de ses mains.

Enoch pénètre dans son bureau éclairé par une seule bougie. Puis s’approchant de celui-ci pour s’y installer, aperçoit la tête de son homme baignant dans une flaque de sang.

Ainsi donc tu as bien progressé ma fille …

Ta fille ? Comment oses-tu me nommer ainsi …

Sazkya soupire.

Enoch .. Tu étais tout pour moi, un père, un mentor, un modèle … Tu as tout gâché, tu m’as trahie !

L’homme scrute la pénombre et les recoins de la pièce.
Mais où es-tu donc ? Montre-toi Sazy.
Un bruit le fait sursauter, d’un geste vif il fit volte-face. Ses yeux se posèrent sur son bureau, transpercé d’une dague y clouant un ordre de mission.
Aurais-tu changé ton enseignement ? Celui-ci n’était pas bien malin pour aller accomplir son devoir tes ordres dans son manteau … Il aurait pu mener n’importe qui ici …

Enoch regardait celle qu’il avait connu alors qu’elle n’avait que deux ans …
Qu’es-tu donc devenue ? Ta voix semble émaner d’un autre monde, quant à tes yeux … Ils ont perdu cette belle couleur émeraude et brillent d’une flamme démoniaque !
Par tous les dieux, quelle abomination est-ce là !?.

La jeune vampire esquisse un sourire, dévoilant ses canines acérées.
Je suis ce que tu as modelé Enoch, amoureuse des ombres et de la mort …
Ne tâche plus de me faire suivre ! J’en ai fini avec toi et la Guilde des assassins RoseNoire ! Tu m’as trompée, bafouée ! Pour moi tu n’es plus … Laisse-moi en paix.

Oublierais-tu que tu m’appartiens Sazkya ! Personne d’autre ne t’aura et pas même celui pour qui ton cœur bat …

Sazkya plisse les yeux.
De quoi parles-tu donc sombre fou ?
Montrant du regard la tête tranchée demeurée sur son bureau :
Cet incapable a tout de même su voir comme ce sombre semble te toucher. Peut-être que sa mort serait ma douce vengeance à ton départ.
Peut-être qu’ainsi je serais en paix.
L’homme sourit d’un air sadique.

Elle s’approche, son visage à quelques centimètres du sien. Alors il peut sentir cette haleine … Un mélange de fleurs séchées, une odeur de mort et de caveau …
Touche un seul de ses cheveux et je viens t’arracher le cœur en personne Enoch.
Oublie-moi, oublie-le. Cela vaut bien mieux pour tous..

Sazkya disparaît dans l’ombre et observe de loin.
Enoch pleure en scrutant les ténèbres …
Qu’est-elle devenue … Pourquoi avoir cédé à mes sentiments, je l’ai perdue … A tout jamais..

Satisfaite de ces paroles, la jeune vampire s’en retourne vers Dion.
Comment le mettre en garde sans qu’il ne puisse soupçonner quoi que ce soit ? Une lettre peut-être…

De retour dans la crypte, c’est la plume, l’encre et le parchemin qu’elle choisit pour armes.
A nous deux mon beau ténébreux….

Est-ce là ma malédiction ?
Moi qui suis venue de l’avant à la rencontre de ce que je suis actuellement.
Créature de la nuit, je l’étais déjà … Amante de l’ombre et de la mort … Sans doute dois-je me contenter de ce seul amour et mes étreintes en resteront à celles de ma froide lame ou encore de mes crocs …
Est-ce là ma malédiction ? Epanouie dans ma nouvelle existence de vampire … Je n’ai pourtant su sceller la porte de mon cœur.
Oui … C’est bien là ma malédiction.

Une larme de sang roule sur la joue de Sazkya. Assise derrière les chutes, elle observe le rideau d’eau déferler devant elle.

L’Eveil

Je me pensais endormie
Puis je m’éveille enfin
Le cœur à l’agonie
Peut-être est-ce mon destin
De vivre avec l’âme en charpie
L’angoisse aux aguets comme un chien
M’avait suivie jusque dans mon abri
Elle voulait me ramener aux temps anciens
Où souffrance et peurs fûrent mes réelles amies
L’amour aurait pu être mon gardien
Mais elle a su s’immiscer sans un bruit
Dans les toiles mêlées de nos destins
Et de sa gueule affamée dans la nuit
Me livrer au froid sibérien
De ses caresses de harpie
Elle sait, elle sent que je la crains
Je m’accroche à mon désir d’infini
Elle connaît mes faiblesses, je n’y peux rien
Elle sait que je me hais, et s’en délecte dans un cri

Un long soupir …

Ainsi, nous ne serons même pas amis …

Sazkya s’est retirée dans la crypte au levé du jour, abandonnant à contre cœur celui qu’elle chérit tant avant que ses paroles ne la trahissent.
Assise dans la pénombre, elle médite.

Ne garderais-je des hommes que l’amertume de la douleur ?

J’avais pourtant érigé haut les barricades de mon cœur et j’étais bien décidée à me résigner lorsque j’eus enfin compris que lui appartenait déjà à une autre et pas des moindre …

Rire mélancolique

Des barbares assassins et me voilà torturée … Dois-je disparaître à jamais ? Dois-je me taire est aimer encore et encore en silence pour profiter de sa présence ?
Dois-je laisser ma plume coucher sur le papier ce que je n’ose lui dire au risque de le voir prendre ses distances ?

D’un air peu décidé, elle saisit l’encre et le parchemin puis se plonge à nouveau dans ses pensées.

Ses paroles se veulent sans doute agréables, pourtant cela me fait l’effet d’un pieu dans le cœur que de rester au même rang que ses sœurs …
Bon sang, nous ne sommes pas nés du même ventre, les liens du sang nous unissent mais … Cela ne serait nullement incestueux de s’adonner à l’expression de quelques sentiments.
Petite sotte, ceux là sont à sens unique …

Brusquement, elle envoie valdinguer dans la crypte l’encre et la plume dans un fracas.

Quel intérêt à tout cela que de me ridiculiser …

Saisie d’une profonde tristesse, la jeune vampire sombre dans un sommeil agité.